mardi 4 février 2020

le mariage 💕

CITATIONS

“Le mariage est la cause principale de divorce.” - Oscar Wilde

“Le mariage rĂ©vĂšle le masochiste qui sommeille en vous.” - RĂ©gis Hauser / Les murs se marrent

“Traite des nĂšgres : l’esclavage. Traite des blanches : le mariage.” - V. Hugo / OcĂ©an prose, 1856

“Le mariage c’est la mort de l’espoir.” - Woody Allen


LA  FEMME LA PLUS MARIÉE

Linda Wolfe, ĂągĂ©e de 68 ans, est officiellement la femme la plus mariĂ©e de l'histoire. Elle s'est unie
 23 fois ! Cette grand-mĂšre amĂ©ricaine est ainsi entrĂ©e dans le livre Guiness des records. Linda Wolfe a Ă©tĂ© mariĂ©e pour la premiĂšre fois Ă  l'Ăąge de 16 ans et aurait depuis dĂ©veloppĂ© une "addiction Ă  l'amour", selon ses dĂ©clarations au quotidien britannique The Telegraph. Elle avoue ĂȘtre incapable de nommer ses Ă©poux dans l'ordre. Son plus long mariage - le premier - a durĂ© 7 ans, contre 36 heures pour le plus court. Parmi ses conquĂȘtes, on compte un dĂ©tenu, un pasteur, des plombiers ou encore des musiciens. Deux d'entre eux se sont avĂ©rĂ©s homosexuels et deux autres l'ont trompĂ©e, ce qui pourrait expliquer les divorces qui en ont dĂ©coulĂ©. Linda Wolfe a aussi Ă©tĂ© mariĂ©e trois fois au mĂȘme homme. Sa derniĂšre union avec Glynn Wolf n’était qu’un coup de publicitĂ©. Ce dernier Ă©tant l'homme le plus mariĂ© du monde avec
 29 Ă©pouses Ă  son actif.

Source : https://www.elle.fr/Societe/News/Record-du-monde-une-femme-mariee-23-fois-840792


LA STAR LA PLUS MARIÉE

La star la plus mariée est sans conteste Elizabeth Taylor, qui a connu 8 mariages... avec 7 époux différents puisqu'elle a épousé deux fois Richard Burton.

- Sa premiĂšre union dure Ă  peine plus d'un an, entre 1950 et 1951, avec Conrad Hilton Junior, hĂ©ritier des hĂŽtels du mĂȘme nom.

- Elle s'engage à nouveau en 1952 auprÚs de l'acteur Michael Wilding, avec qui elle aura deux enfants. Le couple connaßt alors des moments difficiles et elle met fin à cette union en janvier 1957 aprÚs avoir rencontré Michael Todd, producteur de cinéma.

- Michael Todd et Elizabeth Taylor se marient en février 1957 et donnent naissance à une petite fille. Malheureusement, sept mois plus tard, en mars 1958, le producteur se tue dans un accident d'avion.

- AprĂšs le dĂ©cĂšs de son 3e Ă©poux, Elizabeth Taylor se rapproche du chanteur Eddie Fisher, le meilleur ami de Michael Todd. Mais il est dĂ©jĂ  mariĂ©. Aux yeux de l'AmĂ©rique, elle passe du statut de veuve Ă©plorĂ©e Ă  celui de briseuse de couple. Eddie et Elizabeth se marient quand mĂȘme en 1959.

- En 1963, l'actrice tourne le film ''Cléopùtre'', aux cÎtés de l'acteur Richard Burton. Les deux acteurs, mariés chacun de leur cÎté, entretiennent alors une liaison qui ne restera pas cachée longtemps. Elizabeth divorce d'Eddie en mars 1964, et épouse Richard Burton dans la foulée, 9 jours aprÚs. Le couple décide de se séparer en juin 1974, puis choisit de se remarier en octobre 1975. Finalement, en juillet 1976, Richard Burton et Elizabeth Taylor se séparent définitivement.

- Elizabeth Taylor épouse par la suite le sénateur John Warner, avec qui elle reste mariée de décembre 1976 à novembre 1982.

- AprÚs une longue période de célibat, elle se marie une huitiÚme et derniÚre fois, d'octobre 1991 à octobre 1996, avec Larry Fortensky, un riche industriel qui lui offre l'un des mariages les plus chers de l'histoire.

Source : https://www.planet.fr/magazine-people-les-stars-les-plus-mariees.18901.1468.html



LE MARIAGE EST UNE MAUVAISE ACTION

par Voltairine de Cleyre - 1907

Traduction de Yves Coleman.

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Table des matiĂšres 


RelativitĂ© des actes et des besoins........................................................................ 3 

Conscience et Ă©volution........................................................................................ 3

Ma position sur le mariage................................................................................... 4

DĂ©pendance et Ă©panouissement personnel........................................................... 4

Le mariage est contraire Ă  l’épanouissement de l’individu................................. 5

L’instinct de reproduction.................................................................................... 6

La reproduction et les autres besoins humains.................................................... 6

L’hypocrisie sexuelle des femmes....................................................................... 7

Les effets catastrophiques de la cohabitation...................................................... 8

Deux exemples..................................... .............................................................. 8

L’éducation des enfants....................................................................................... 9


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(Cette conférence présente un point de vue négatif sur le mariage et constitue une réponse au plaidoyer de la Dr Henrietta P. Westbrook en faveur de cette institution - plaidoyer intitulé « Le mariage est une bonne action ». Les deux conférences ont été prononcées dans les locaux de la Radical Liberal League, à Philadelphie le 28 avril 1907.)


Laissez-moi tout d’abord Ă©claircir deux points, dĂšs le dĂ©part. Ainsi, lorsque la discussion dĂ©butera, nous pourrons nous concentrer sur l’essentiel. 

1) Comment peut-on distinguer entre une bonne et une mauvaise action ? 

2) Quelle est ma définition du mariage ?


Relativité des actes et des besoins


D’aprĂšs ma comprĂ©hension du puzzle de l’univers, aucun acte n’est, Ă  mon avis, totalement juste ou mauvais. Tout jugement que l’on porte sur un acte est relatif : il dĂ©pend de l’évolution sociale des ĂȘtres humains qui progressent consciemment, mais trĂšs lentement, par rapport au reste de l’univers. Le bien et le mal sont des conceptions sociales — et non humaines. Les mots de bien et de mal ont certes Ă©tĂ© inventĂ©s par des hommes ; mais les conceptions du bien et du mal, obscurĂ©ment ou clairement, ont Ă©tĂ© conçues avec plus ou moins d’efficacitĂ© par tous les ĂȘtres sociaux intelligents. La dĂ©finition du Bien, entĂ©rinĂ©e et approuvĂ©e par la conduite admise des ĂȘtres sociaux, est la suivante : est considĂ©rĂ© comme juste le comportement qui sert le mieux les besoins en dĂ©veloppement d’une sociĂ©tĂ© donnĂ©e. 

Mais qu’est-ce qu’un besoin ? Dans le passĂ©, les besoins Ă©taient surtout dĂ©terminĂ©s par la rĂ©action inconsciente de la structure (sociale ou individuelle) Ă  la pression du milieu. Jusqu’à rĂ©cemment, je pensais encore comme Huxley,1 Von Hartman2 et mon professeur Lum,3 que le besoin Ă©tait dĂ©terminĂ© par la pression du milieu ; que la conscience pouvait percevoir, obĂ©ir ou s’opposer, mais qu’elle ne pouvait influencer le cours du dĂ©veloppement social ; et que, si elle dĂ©cidait de s’y opposer, elle ne faisait que provoquer sa propre ruine, mais ne modifiait pas l’idĂ©al inconsciemment dĂ©terminĂ©.


Conscience et Ă©volution


Ces derniĂšres annĂ©es, j’en suis arrivĂ©e Ă  la conclusion que la conscience prend une part de plus en plus importante dans l’orientation des problĂšmes sociaux ; si elle est, pour le moment, une voix mineure (et le restera encore longtemps), elle reprĂ©sente cependant un pouvoir croissant qui menace de renverser les vieux processus et les vieilles lois, de les remplacer par d’autres pouvoirs et d’autres idĂ©aux. Je ne connais pas de perspective plus fascinante que celle du rĂŽle de la conscience dans l’évolution prĂ©sente et Ă  venir. Ce n’est pas l’objet de notre rĂ©flexion aujourd’hui. Je n’évoque la conscience que parce que, en dĂ©crivant notre conception actuelle du bien-ĂȘtre, j’avancerai de nouveau l’hypothĂšse que le vieil idĂ©al a Ă©tĂ© considĂ©rablement modifiĂ© par des rĂ©actions inconscientes. 

La question devient alors : quel est l’idĂ©al en germe dans notre sociĂ©tĂ©, idĂ©al qui n’est pas encore consciemment formulĂ© mais dont on perçoit des signaux et que l’on commence Ă  discerner ?

D’aprĂšs tous les indicateurs du progrĂšs, cet idĂ©al me semble ĂȘtre la libertĂ© de l’individu ; une sociĂ©tĂ© dont l’organisation Ă©conomique, politique, sociale et sexuelle assurera et augmentera constamment les possibilitĂ©s de ses diffĂ©rents Ă©lĂ©ments ; dont la solidaritĂ© et la continuitĂ© dĂ©pendront de l’attraction libre de ses composantes, et en aucun cas ne reposera sur l’obligation, quelles qu’en soient les formes. Si vous ne dĂ©celez pas, comme moi, que telle est la tendance sociale actuelle, vous ne serez sans doute pas d’accord avec le reste de ma dĂ©monstration. Car il serait trop facile de prouver que le maintien des vieilles divisions de la sociĂ©tĂ© en classes, chacune d’elles accomplissant des fonctions spĂ©cialisĂ©s — prĂȘtres, militaires, ouvriers, capitalistes, domestiques, Ă©leveurs, etc. — que ce maintien, donc, est en accord avec la force croissante de la sociĂ©tĂ©, et donc que le mariage est une bonne action.

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Ma position, le point de dĂ©part Ă  partir duquel je mesurerai une bonne ou une mauvaise action, est la suivante : la tendance sociale actuelle s’oriente vers la libertĂ© de l’individu, ce qui implique la rĂ©alisation de toutes les conditions nĂ©cessaires Ă  l’avĂšnement de cette libertĂ©. 

Second point : 

Ma position sur le mariage

Il y a quinze ou dix-huit ans, je n’étais pas encore sortie du couvent depuis assez longtemps pour avoir oubliĂ© ses enseignements. Je n’avais pas encore assez vĂ©cu ni accumulĂ© assez d’expĂ©riences pour fabriquer mes propres dĂ©finitions. Pour moi, le mariage Ă©tait « un sacrement de l’Eglise » ou bien « une cĂ©rĂ©monie civile patronnĂ©e par l’Etat », permettant Ă  un homme et une femme de s’unir pour la vie, Ă  moins qu’ils demandent Ă  un tribunal de prononcer leur sĂ©paration. Avec toute l’énergie d’une libre-penseuse nĂ©ophyte, je critiquais le mariage religieux parce qu’un prĂȘtre n’a absolument aucun droit d’intervenir dans la vie privĂ©e des individus ; je condamnais l’expression « jusqu’à ce que la mort nous sĂ©pare », car cette promesse immorale rend une personne esclave de ses sentiments actuels et dĂ©termine tout son avenir ; je dĂ©nonçais la misĂ©rable vulgaritĂ© des cĂ©rĂ©monies religieuse et civile, qui mettent les relations intimes entre deux individus au centre de l’attention publique, des commentaires et des plaisanteries. 

Je dĂ©fends toujours ces positions. Rien ne me rĂ©vulse plus que le prĂ©tendu sacrement du mariage ; il est une insulte Ă  la dĂ©licatesse parce qu’il proclame aux oreilles du monde entier une affaire strictement privĂ©e. Ai-je besoin de rappeler, par exemple, la littĂ©rature indigne qui circula sur le mariage d’Alice Roosevelt,4 lorsque la prĂ©tendue « princesse amĂ©ricaine » fut l’objet de plaisanteries obscĂšnes incessantes, parce que le monde entier devait ĂȘtre informĂ© de son futur mariage avec Mr. Longworth !


DĂ©pendance et Ă©panouissement personnel


Mais aujourd’hui ce n’est ni au mariage civil ni au mariage religieux que je me rĂ©fĂšre, lorsque j’affirme : « Le mariage est une mauvaise action. » La cĂ©rĂ©monie elle-mĂȘme n’est qu’une forme, un fantĂŽme, une coquille vide. Par mariage, j’entends son contenu rĂ©el, la relation permanente entre un homme et une femme, relation sexuelle et Ă©conomique qui permet de maintenir la vie de couple et la vie familiale actuelle. Je me moque de savoir s’il s’agit d’un mariage polygame, polyandre or monogame. Peu m’importe qu’il soit cĂ©lĂ©brĂ© par un prĂȘtre, un magistrat, en public ou en privĂ©, ou qu’il n’y ait pas le moindre contrat entre les Ă©poux. Non, ce que j’affirme c’est qu’une relation de dĂ©pendance permanente nuit au dĂ©veloppement de la personnalitĂ©, et c’est cela que je combats. Maintenant, mes opposants savent sur quel terrain je me situe. 

Dans le passĂ©, il m’est arrivĂ© de plaider de façon effusive et sincĂšre pour l’union exclusive entre un homme et une femme, tant qu’ils sont amoureux. Et je pensais que cette union devrait ĂȘtre dissoute lorsque l’un ou l’autre le dĂ©sirerait. À cette Ă©poque j’exaltais les liens de l’amour — et seulement ceux-lĂ . 

Aujourd’hui, je prĂ©fĂšre un mariage fondĂ© uniquement sur des considĂ©rations strictement financiĂšres Ă  un mariage fondĂ© sur l’amour. Non pas parce que je m’intĂ©resse le moins du monde Ă  la pĂ©rennitĂ© du mariage, mais parce que je me soucie de la pĂ©rennitĂ© de l’amour. Le moyen le plus facile, le plus sĂ»r et le plus rĂ©pandu de tuer l’amour est le mariage — le mariage tel que je l’ai dĂ©fini. La seule façon de prĂ©server l’amour dans la condition extatique qui lui vaut de bĂ©nĂ©ficier d’une appellation spĂ©cifique — sinon ce sentiment relĂšve du dĂ©sir ou de l’amitiĂ© —, la seule façon, disais-je, de prĂ©server l’amour est de maintenir la distance. Ne jamais permettre que l’amour soit souillĂ© par les mesquineries indĂ©centes d’une intimitĂ© permanente. Mieux vaut mĂ©priser tous les jours votre ennemi que mĂ©priser la personne que vous aimez.

Ceux qui ne connaissent pas les raisons de mon opposition aux formes lĂ©gales et sociales vont sans doute s’exclamer : « Alors, vous voulez donc en finir avec toute relation entre les sexes ? Vous souhaitez que la terre ne soit plus peuplĂ©e que de nonnes et de moines ? » Absolument pas. Je ne m’inquiĂšte pas de la repopulation de la Terre, et je ne verserais aucune larme si l’on m’apprenait que le dernier ĂȘtre humain venait de naĂźtre.

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Mais je ne prĂȘche pas pour autant l’abstinence sexuelle totale. Si les avocats du mariage devaient simplement plaider contre l’abstinence totale, leur tĂąche serait aisĂ©e. Les statistiques de la folie, et de toutes sortes d’aberrations, constitueraient Ă  elles seules un solide Ă©lĂ©ment Ă  charge. Non, je ne crois pas que l’ĂȘtre humain moralement le plus Ă©levĂ© soit un individu asexuĂ©, ni d’ailleurs une personne qui, au nom de la religion ou de la science, extirpe violemment ses passions.

Je souhaiterais que les gens considĂšrent leurs instincts normaux, d’une façon normale, qu’ils ne les gavent pas mais ne les rationnent pas non plus, qu’ils n’exaltent pas leurs vertus au-delĂ  de leur utilitĂ© vĂ©ritable et ne les dĂ©noncent pas non plus comme les servantes du Mal, deux attitudes trĂšs rĂ©pandues en ce qui concerne la passion sexuelle. En bref, je souhaiterais que les hommes et les femmes organisent leurs vies de telle façon qu’ils puissent ĂȘtre toujours, Ă  toute Ă©poque, des ĂȘtres libres, sur ce plan-lĂ  comme sur d’autres. Chaque individu doit fixer des limites Ă  ses instincts, ce qui est normal pour l’un Ă©tant excessif pour l’autre, et ce qui est excessif Ă  une pĂ©riode de l’existence Ă©tant normal Ă  une autre. En ce qui concerne les effets de la satisfaction normale d’un appĂ©tit normal sur la population, je pense qu’il faut contrĂŽler consciemment ces effets, comme ils le sont dĂ©jĂ , dans une certaine mesure, aujourd’hui, et le seront de plus en plus, au fur et Ă  mesure que progresseront nos connaissances. Le taux de natalitĂ© en France et aux Etats-Unis (chez les AmĂ©ricains nĂ©s en AmĂ©rique) montre le dĂ©veloppement d’un tel contrĂŽle conscient des naissances.

Le mariage est contraire Ă  l’épanouissement de l’individu


« Mais, diront les partisans du mariage, qu’est-ce qui, dans le mariage, entrave le libre dĂ©veloppement de l’individu ? Que signifie le libre dĂ©veloppement de l’individu, s’il n’est pas l’expression de la masculinitĂ© et de la fĂ©minitĂ© ? Qu’y a-t-il de plus essentiel pour ces deux Ă©lĂ©ments que d’ĂȘtre parent et d’éduquer des enfants ? Le fait que l’éducation d’un enfant dure de 15 Ă  20 ans n’est-il pas le facteur essentiel qui dĂ©termine l’existence d’un foyer permanent ? »

Ce type d’argumentation est avancĂ© par les partisans du mariage ayant l’esprit scientifique. Ceux qui ont l’esprit religieux invoquent la volontĂ© de Dieu, ou d’autres raisons mĂ©taphysiques. Je ne rĂ©pondrai pas Ă  ces derniers. Je m’intĂ©resserai aujourd’hui seulement Ă  ceux qui prĂ©tendent que, l’Homme Ă©tant le dernier maillon de l’évolution, les nĂ©cessitĂ©s de chaque espĂšce qui dĂ©terminent des relations sociales et sexuelles entre espĂšces alliĂ©es façonnent et dĂ©terminent ces relations chez l’Homme ; selon eux, si, chez les animaux supĂ©rieurs, la durĂ©e de l’apprentissage dĂ©termine la durĂ©e de la conjugalitĂ©, alors l’une des plus grandes rĂ©ussites de l’Homme est d’avoir considĂ©rablement Ă©tendu la durĂ©e de l’apprentissage, et donc de s’ĂȘtre fixĂ© pour idĂ©al une relation familiale permanente.

Ce n’est que l’extension consciente de ce que l’adaptation inconsciente, ou peut-ĂȘtre semi-consciente, a dĂ©jĂ  dĂ©terminĂ© pour les animaux supĂ©rieurs, et en partie chez les espĂšces sauvages. Si les habitants d’un pays sont raisonnables, sensibles et contrĂŽlent leurs instincts (avec les autres peuples, ils maintiendront de toute façon leurs distances, quelles que soient les circonstances), le mariage ne permet-il pas d’atteindre ce grand objectif de la fonction sociale Ă©lĂ©mentaire, qui est en mĂȘme temps une exigence essentielle pour le dĂ©veloppement individuel, mieux qu’aucun autre mode de vie ? MalgrĂ© toutes ses imperfections, n’est-ce pas le meilleur mode de vie que l’on ait trouvĂ© jusqu’à prĂ©sent ?

En essayant de prouver la thĂšse inverse, je ne m’intĂ©resserai pas aux Ă©checs patents du mariage. Cela ne m’intĂ©resse pas de dĂ©montrer que de nombreux mariages Ă©chouent ; les archives des tribunaux le prouvent abondamment. Mais de mĂȘme qu’une hirondelle (ni un vol d’hirondelles) ne fait pas le printemps, le nombre de divorces, en lui-mĂȘme, ne prouve pas que le mariage est une mauvaise chose, il dĂ©montre seulement qu’un nombre important d’individus commettent des erreurs. Cet argument est un argument inattaquable contre l’indissolubilitĂ© du mariage mais pas contre le mariage lui-mĂȘme.

Aujourd’hui, je m’intĂ©resserai aux mariages heureux — les mariages au sein desquels, quelles que soient les frictions, l’homme et la femme ont passĂ© beaucoup de moments agrĂ©ables ensemble ; des mariages oĂč la famille a vĂ©cu grĂące au travail honnĂȘte, dĂ©cemment payĂ© (dans les limites du salariat) du pĂšre, et prĂ©servĂ©e par le souci d’économie et les soins de la mĂšre ; oĂč les enfants ont reçu une bonne Ă©ducation et ont dĂ©marrĂ© dans la vie sans problĂšme, et oĂč leurs parents ont continuĂ© Ă  vivre sous le mĂȘme toit pour finir leur vie ensemble, chacun Ă©tant assurĂ© que l’autre reprĂ©sente un(e) ami(e) qui lui sera fidĂšle jusqu’à la mort. Telle est, d’aprĂšs moi, le meilleur type de mariage possible, et il s’agit plus souvent d’un doux rĂȘve que d’une rĂ©alitĂ©. Mais parfois il rĂ©ussit Ă  se rĂ©aliser. Je maintiens nĂ©anmoins que, du point de vue de l’objectif de la vie, c’est-Ă -dire du libre dĂ©veloppement de l’individu, ceux qui ont rĂ©ussi leur mariage ont menĂ© une vie moins rĂ©ussie que ceux qui ont eu une vie moins heureuse.

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L’instinct de reproduction


En ce qui concerne le premier point (le fait que l’éducation des parents serait l’une des nĂ©cessitĂ©s fondamentales de l’expression de la personnalitĂ©), je pense que la conscience va bouleverser les mĂ©thodes de la vie. La vie, qui opĂšre inconsciemment, cherchait aveuglĂ©ment Ă  se prĂ©server par la reproduction, par la reproduction multiple. Notre esprit est chaque fois bouleversĂ© par la productivitĂ© d’un seul grain de blĂ©, d’un poisson, d’une reine des abeilles ou d’un homme. Nous sommes frappĂ©s par le gĂąchis Ă©pouvantable de l’effort reproductif ; paralysĂ©s par une pitiĂ© impuissante pour les petites choses, le nombre infini de ces petites vies qui doivent naĂźtre, souffrir et mourir de faim, de froid, ou parce qu’elles servent de proies pour d’autres crĂ©atures, et tout cela dans un seul but : afin que, au sein d’une multitude, seule une petite minoritĂ© survive et perpĂ©tue l’espĂšce ! En guerre contre la nature, l’homme, qui n’en est pas encore maĂźtre, a obĂ©i au mĂȘme instinct et, en procrĂ©ant de façon prolifique, il a poursuivi sa guerre.

Pour le patriarche hĂ©breu de l’AntiquitĂ© comme pour le pionnier amĂ©ricain, une grande famille Ă©tait synonyme de force, de richesse en bras et en muscles et reprĂ©sentait un moyen de poursuivre sa conquĂȘte des forĂȘts et des terres vierges. C’était sa seule ressource contre l’anĂ©antissement. C’est pourquoi l’instinct de reproduction a Ă©tĂ© l’un des moteurs dĂ©terminants de l’action humaine.

Tout instinct obĂ©it Ă  une loi : il survit longtemps aprĂšs la disparition du besoin qui l’a crĂ©Ă©, et cette loi agit de façon perverse. Cet instinct qui survit fait partie de la structure de l’ĂȘtre humain, il n’est pas obligĂ© de se justifier ni forcĂ© d’ĂȘtre satisfait. Je suis persuadĂ©e, nĂ©anmoins, que plus la conscience des hommes se dĂ©veloppe, ou, en d’autres termes, plus nous devenons conscients des conditions de la vie et de nos relations dans ce cadre, de leurs nouvelles exigences et de la meilleure façon de les satisfaire, plus les instincts inutiles se dissocieront rapidement de la structure de l’ĂȘtre humain.

Comment se prĂ©sente la guerre contre la nature aujourd’hui ? Pourquoi, alors que nous sommes presque au bord d’une catastrophe planĂ©taire, sommes-nous certains de la conquĂ©rir ? La conscience ! La puissance du cerveau ! La force de la volontĂ© ! L’invention, la dĂ©couverte, la maĂźtrise des forces cachĂ©es. Nous ne sommes plus obligĂ©s d’agir aveuglĂ©ment, de chercher sans cesse Ă  propager l’espĂšce pour fournir Ă  l’humanitĂ© des chasseurs, des pĂȘcheurs, des bergers, des agriculteurs et des Ă©leveurs. Par consĂ©quent, le besoin initial, qui a crĂ©Ă© l’instinct de reproduction prolifique, a disparu ; il est vouĂ© Ă  disparaĂźtre, il est en train de mourir, mais il disparaĂźtra plus rapidement si les hommes comprennent de mieux en mieux la situation globale.

Plus les cerveaux ont une production prolifique, plus les idĂ©es s’étendent, se multiplient et conquiĂšrent de pouvoir, plus la nĂ©cessitĂ© d’une reproduction physique abondante dĂ©cline. Tel est mon premier point. Donc l’épanouissement de l’individu n’implique plus nĂ©cessairement d’avoir de nombreux enfants, ni mĂȘme d’en avoir un seul. Je ne veux pas dire que, bientĂŽt, plus personne ne voudra avoir d’enfants, et je ne prophĂ©tise pas le suicide de l’espĂšce humaine. Simplement, je pense que moins d’hommes et de femmes naĂźtront, plus il y aura de chances que ceux-ci survivent, se dĂ©veloppent et rĂ©alisent de projets. En fait, la confrontation entre ces diffĂ©rentes tendances a dĂ©jĂ  amenĂ© la conscience sociale actuelle Ă  prendre cette direction.

La reproduction et les autres besoins humains


Supposons que la majoritĂ© des hommes et des femmes dĂ©sirent encore, ou mĂȘme, allons plus loin, admettons que la majoritĂ© dĂ©sirent encore se reproduire de façon limitĂ©e, la question est maintenant la suivante : ce besoin est-il essentiel au dĂ©veloppement de l’individu ou y a-t-il d’autres besoins tout aussi impĂ©rieux ? S’il en existe d’autres, aussi essentiels, ne doit-on pas les prendre Ă©galement en compte lorsque l’on veut dĂ©cider de la meilleure maniĂšre de conduire sa vie?

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S’il n’existe pas d’autres besoins aussi vitaux, ne doit-on pas quand mĂȘme se demander si le mariage est le meilleur moyen d’assurer l’épanouissement de l’individu ? En rĂ©pondant Ă  ces questions, je pense qu’il sera utile de distinguer entre la majoritĂ© et la minoritĂ©.

Pour une minoritĂ©, l’éducation des enfants reprĂ©sentera le besoin dominant de leur vie tandis que, pour une majoritĂ©, cela constituera seulement un besoin parmi d’autres. Et quels sont ces autres besoins ? Les autres besoins physiques et spirituels ! Le dĂ©sir de manger, de s’habiller et de se loger en fonction du goĂ»t de chaque individu ; le dĂ©sir d’avoir des relations sexuelles et pas en vue de la reproduction ; les dĂ©sirs artistiques ; le besoin de connaissances, avec ses milliers de ramifications, qui emportera peut-ĂȘtre l’ñme des profondeurs du concret jusqu’aux hauteurs de l’abstraction ; le dĂ©sir de faire, c’est-Ă -dire d’imprimer sa volontĂ© sur la structure sociale, qu’il s’agisse d’un ingĂ©nieur mĂ©canicien, d’un conducteur de moissonneuse-batteuse ou d’un interprĂ©teur de rĂȘves — quelle que soit l’activitĂ© personnelle.

Le dĂ©sir de se nourrir, se loger et se vĂȘtir devrait toujours reposer sur le pouvoir de chaque individu de satisfaire soi-mĂȘme ses besoins. Mais la vie domestique est telle que, au bout de quelques annĂ©es d’existence commune, l’interdĂ©pendance croĂźt au point de paralyser chaque partenaire lorsque les circonstances dĂ©truisent leur bel arrangement, la femme en Ă©tant gĂ©nĂ©ralement trĂšs affectĂ©e, l’homme beaucoup moins, en principe. L’épouse n’a fait qu’une seule chose dans une sphĂšre isolĂ©e, et mĂȘme si elle a peut-ĂȘtre appris Ă  bien la faire (ce qui n’est pas sĂ»r, parce que la mĂ©thode de formation n’est absolument pas satisfaisante), de toute façon cela ne lui a pas donnĂ© la confiance nĂ©cessaire pour gagner sa vie de façon indĂ©pendante. TimorĂ©e, elle s’avĂšre le plus souvent incapable de s’engager dans la lutte. Elle est passĂ©e Ă  cĂŽtĂ© du monde de la production, elle ne le connaĂźt absolument pas. D’un autre cĂŽtĂ©, quelle sorte de mĂ©tier peut-elle exercer ? Devenir l’employĂ©e de maison d’une autre femme qui la dominera ? Les conditions de travail et la rĂ©munĂ©ration des services domestiques sont telles que n’importe quel esprit indĂ©pendant prĂ©fĂ©rerait ĂȘtre esclave dans une usine : au moins l’esclavage est limitĂ© Ă  une quantitĂ© fixe d’heures.

Quant aux hommes, permettez-moi de vous raconter une anecdote : il y quelques jours de cela, un syndicaliste trĂšs combatif m’a dĂ©clarĂ©, apparemment sans la moindre honte, qu’il vivrait comme un vagabond et un ivrogne s’il ne s’était pas mariĂ©, parce qu’il ne se sent pas capable de tenir une maison. Leur accord mutuel a surtout un mĂ©rite, Ă  ses yeux : son Ă©pouse s’occupe bien de son estomac. Jamais je n’aurais pensĂ© que quelqu’un puisse admettre se trouver dans un tel Ă©tat d’impuissance, mais cet homme m’a sans doute dit la vĂ©ritĂ©.

Ce type d’aveu est certainement une des plus graves objections contre le mariage, comme contre toute autre condition produisant de semblables rĂ©sultats. En choisissant sa position Ă©conomique dans la sociĂ©tĂ©, on devrait toujours veiller Ă  ce qu’elle vous permette de continuer Ă  vivre sans aucun handicap — de façon Ă  rester une personne entiĂšre, ayant toutes ses capacitĂ©s pour produire et se protĂ©ger elle-mĂȘme, un individu centrĂ© sur lui-mĂȘme.

L’hypocrisie sexuelle des femmes


En ce qui concerne l’appĂ©tit sexuel, en dehors de la reproduction, les avocats du mariage prĂ©tendent, et avec de bonnes raisons, qu’il procure une satisfaction normale Ă  un appĂ©tit normal. Selon eux, il constitue un garde-fou physique et moral contre les excĂšs et leurs consĂ©quences, les maladies. Nous avons sans cesse la preuve douloureuse que le mariage n’est pas trĂšs efficace sur ce plan-lĂ . Quant Ă  ce qu’il pourrait accomplir, il est presque impossible de le savoir ; car l’ascĂ©tisme religieux a tellement implantĂ© le sentiment de la honte dans l’esprit humain, Ă  propos du sexe, que notre premiĂšre rĂ©action, lorsqu’on en discute, semble de mentir.


C’est particuliĂšrement le cas avec les femmes. La majoritĂ© d’entre elles souhaitent donner l’impression qu’elles sont dĂ©pourvues de dĂ©sir sexuel et pensent se dĂ©cerner le plus beau compliment lorsqu’elles dĂ©clarent :

« Personnellement, je suis trĂšs froide ; je n’ai jamais Ă©prouvĂ© une telle attraction. » Parfois elles disent la vĂ©ritĂ© mais, le plus souvent, il s’agit d’un mensonge — issu des enseignements pernicieux diffusĂ©s par l’Église pendant des siĂšcles. Une femme normalement constituĂ©e comprendra qu’elle ne se rend pas hommage lorsqu’elle se refuse le droit d’exister complĂštement, pour elle-mĂȘme ou par elle-mĂȘme ; il est certain que, lorsqu’une telle dĂ©ficience se manifeste vraiment, d’autres qualitĂ©s peuvent se dĂ©velopper, ayant peut-ĂȘtre une plus grande valeur. En gĂ©nĂ©ral, cependant, quels que soient les mensonges des femmes, une telle dĂ©ficience n’existe pas.
Habituellement, les ĂȘtres jeunes et sains des deux sexes dĂ©sirent avoir des relations sexuelles. Le mariage est-il donc la meilleure rĂ©ponse Ă  ce besoin humain ?

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Les effets catastrophiques de la cohabitation


Supposons qu’ils se marient, disons Ă  vingt ans, ou quelques annĂ©es plus tard, ce qui est gĂ©nĂ©ralement le cas puisque l’appĂ©tit sexuel est le plus actif Ă  cet Ăąge ; les deux partenaires (et pour le moment je mets de cĂŽtĂ© la question des enfants) se trouveront trop (et trop frĂ©quemment) en contact. Rapidement ils ne savoureront plus la prĂ©sence de l’autre. L’irritation commencera. Les petits dĂ©tails mesquins de la vie commune amĂšneront le mĂ©pris. Ce qui Ă©tait autrefois une joie exceptionnelle deviendra un automatisme, et dĂ©truira toute finesse, toute dĂ©licatesse. Souvent la cohabitation se transformera en une torture physique pour l’un des partenaires (le plus souvent la femme) tandis qu’elle procurera encore un peu de plaisir Ă  l’autre, et ce pour une raison simple : les corps, tout comme les Ăąmes, Ă©voluent rarement, voire, jamais de façon parallĂšle.

Ce manque de parallĂ©lisme est la plus grave objection que l’on puisse opposer au mariage. MĂȘme si deux personnes sont parfaitement et constamment adaptĂ©es l’une Ă  l’autre, rien ne prouve qu’elles continueront Ă  l’ĂȘtre durant le reste de leur existence. Et aucune pĂ©riode n’est plus trompeuse, en ce qui concerne l’évolution future, que l’ñge dont je viens de parler. L’ñge oĂč les dĂ©sirs et les attractions physiques sont les plus forts est aussi le moment oĂč ces mĂȘmes dĂ©sirs obscurcissent ou rĂ©frĂšnent d’autres Ă©lĂ©ments de la personnalitĂ©.

Les terribles tragĂ©dies de l’antipathie sexuelle, qui produisent le plus souvent de la honte, ne seront jamais dĂ©voilĂ©es. Mais elles ont causĂ© d’innombrables meurtres sur cette terre. Et mĂȘme dans les foyers oĂč l’on a maintenu l’harmonie et oĂč, apparemment, rĂšgne la paix conjugale, un tel climat familial n’est possible que parce que l’homme ou la femme s’est rĂ©signĂ©, a niĂ© sa propre personnalitĂ©. L’un des partenaires accepte de s’effacer presque totalement pour prĂ©server la famille et le respect de la sociĂ©tĂ©.

Si ces phĂ©nomĂšnes, cette dĂ©gradation physique sont horribles, rien n’est plus terrible que la dĂ©vastation des Ăąmes. Lorsque la pĂ©riode de l’attraction physique prĂ©dominante prend fin et que les tendances de chaque Ăąme commencent Ă  s’affirmer de plus en plus ouvertement, rien n’est plus affreux que de se rendre compte que l’on est liĂ© Ă  quelqu’un, que l’on va vivre jusqu’à sa mort avec une personne dont on sent que l’on s’éloigne chaque jour de plus en plus. « Pas un jour de plus ensemble ! » affirment les partisans de l’union libre. Je trouve de tels slogans encore plus absurdes que les discours des avocats de la « saintetĂ© » du mariage. Les liens existent, les liens de la vie commune, l’amour du foyer que l’on a construit ensemble, les habitudes associĂ©es Ă  la cohabitation et Ă  la dĂ©pendance ; il n’est pas facile de se dĂ©barrasser de ces vĂ©ritables chaĂźnes, qui tiennent prisonniers les deux partenaires. Ce n’est pas au bout d’un jour ou d’un mois, mais seulement aprĂšs une longue hĂ©sitation, une longue lutte et des souffrances, des souffrances trĂšs Ă©prouvantes, que la sĂ©paration dĂ©chirante se produira. Et souvent elle ne se produit mĂȘme pas.

Deux exemples


Un chapitre de la vie de deux hommes rĂ©cemment dĂ©cĂ©dĂ©s illustrera mon propos. Ernest Crosby a fait un mariage, je suppose heureux, avec une femme Ă  l’esprit et aux sentiments conservateurs. À l’ñge de 38 ans, alors qu’il officiait comme juge Ă  la cour internationale du Caire, il est devenu pacifiste.5 Mais sa conception de l’honneur l’a obligĂ© Ă  continuer Ă  assurer des fonctions sociales qu’il mĂ©prisait ! Pour citer l’un de ses amis, Leonard Abbot, « il vivait comme un prisonnier dans son palais, servi par des domestiques et des laquais. Et Ă  la fin il est devenu l’esclave de ses biens ». Si Crosby n’avait pas Ă©tĂ© attachĂ© par les liens du mariage et des relations familiales Ă  quelqu’un ayant des conceptions de la vie et de l’honneur trĂšs diffĂ©rentes des siennes, le bilan de sa vie n’aurait-il pas Ă©tĂ© plus positif ? Comme son maĂźtre Ă  penser TolstoĂŻ, sa vie contredisait ses oeuvres parce qu’il Ă©tait mariĂ© avec une femme qui ne s’était pas dĂ©veloppĂ©e parallĂšlement Ă  lui.


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Le second exemple est celui de Hugh O. Pentecost. À partir de 1887, quelles que soient ses tendances spĂ©ciales, Pentecost sympathisa avec la lutte du mouvement ouvrier, s’opposant Ă  l’oppression et Ă  toutes les formes de persĂ©cution. Cependant, sous l’influence de ses relations familiales, et parce qu’il sentait qu’il devait atteindre un plus grand confort matĂ©riel et un meilleur standing social que ce que pouvait lui apporter sa position de confĂ©rencier radical, il consentit, Ă  partir d’un certain moment, Ă  devenir la marionnette de ceux qu’il avait si sĂ©vĂšrement condamnĂ©s, en acceptant le poste de procureur. Pire encore : il prĂ©tendit avoir Ă©tĂ© trompĂ© comme un enfant lorsqu’il avait commis la plus belle action de sa vie en protestant contre l’exĂ©cution des anarchistes de Chicago en 1886. Que l’influence familiale ait pesĂ© sur lui, je l’ai appris de sa propre bouche ; Pentecost n’a fait que rĂ©pĂ©ter, Ă  une plus petite Ă©chelle, la trahison de Benedict Arnold6 qui, pour l’amour de sa femme aux idĂ©es conservatrices laissa tout le poids de l’infamie peser sur lui. Je sais qu’il s’est sans doute servi de cette excuse, qu’il s’est rĂ©fugiĂ© derriĂšre le vieil argument de la tentation d’Ève, mais ce facteur a certainement jouĂ© un rĂŽle. J’ai Ă©voquĂ© ces deux cas parce qu’il s’agit d’hommes publics ; mais chacun de nous connaĂźt de tels exemples chez des personnes beaucoup moins cĂ©lĂšbres, et c’est frĂ©quemment la femme dont les aspirations personnelles et intellectuelles sont avilies par les liens du mariage.

Et ceci n’est qu’une facette du problĂšme. En effet, que penser de l’individu conservateur qui se trouve liĂ© Ă  quelqu’un qui offense constamment tous ses principes ? Les ĂȘtres humains ne peuvent penser de la mĂȘme façon et Ă©prouver les mĂȘmes sentiments au mĂȘme moment, sur une longue durĂ©e ; c’est pourquoi les pĂ©riodes durant lesquelles ils nouent des liens ne devraient ĂȘtre ni frĂ©quentes ni contraignantes.

L’éducation des enfants


Mais revenons Ă  la question des enfants. Dans la mesure oĂč il s’agit d’un dĂ©sir normal, ne peut-il ĂȘtre satisfait sans le sacrifice de la libertĂ© individuelle requis par le mariage ? Je ne vois aucune raison pour que ce soit impossible. Un enfant peut ĂȘtre Ă©levĂ© aussi bien dans un foyer, dans deux foyers ou dans une communautĂ© ; la dĂ©couverte de la vie sera bien plus agrĂ©able si elle a lieu dans une atmosphĂšre de libertĂ© et de force indĂ©pendante que dans un climat de rĂ©pression et de mĂ©contentement cachĂ©s. Je n’ai aucune solution satisfaisante Ă  offrir aux diffĂ©rentes questions que pose l’éducation des enfants ; mais les partisans du mariage sont dans le mĂȘme cas que moi.

Par contre, je suis convaincue qu’aucune des exigences de la vie ne devrait empĂȘcher un dĂ©veloppement personnel et libre dans l’avenir. Les vieilles mĂ©thodes d’éducation des enfants, sous le joug indissoluble des parents, n’ont pas donnĂ© des rĂ©sultats convaincants. (Les parents conservateurs se dĂ©solent sans doute d’avoir des enfants contestataires, mais il ne leur vient probablement pas Ă  l’esprit que leur systĂšme est en cause.) L’union libre donne des rĂ©sultats, qui ne sont ni meilleurs ni pires. Quant Ă  l’enfant Ă©levĂ© par un seul parent, il n’est ni plus malheureux ni plus heureux qu’un autre. Des journaux comme Lucifer7 regorgent d’hypothĂšses, de thĂ©ories et de propositions d’expĂ©riences, mais jusqu’ici on n’a jamais trouvĂ© de principes d’éducation infaillibles pour les parents, biologiques ou adoptifs. C’est pourquoi je ne vois pas pourquoi l’individu devrait sacrifier le reste de sa vie en faveur d’un Ă©lĂ©ment aussi incertain.

Si vous voulez que l’amour et le respect puissent durer, ayez des relations peu frĂ©quentes et peu durables. Pour que la Vie puisse croĂźtre, il faut que les hommes et les femmes restent des personnalitĂ©s sĂ©parĂ©es. Ne partagez rien avec votre amant(e) que vous ne partageriez avec un( e ) ami( e ). Je crois que le mariage dĂ©fraĂźchit l’amour, transforme le respect en mĂ©pris, souille l’intimitĂ© et limite l’évolution personnelle des deux partenaires. C’est pourquoi je pense que « le mariage est une mauvaise action ».

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1 Thomas Henry Huxley (1825–1895). Naturaliste britannique et dĂ©fenseur de la thĂ©orie de l’évolution de Darwin. 

2 Eduard von Hartman (1842–1906). Philosophe allemand. Selon lui, une force impersonnelle anime le monde et mĂšnera celui-ci Ă  l’anĂ©antissement total. Pour Voltairine de Cleyre cette force inconsciente peut, au contraire, se transformer grĂące Ă  l’action consciente des hommes et conduire Ă  la libĂ©ration de l’individu. 

3 D. H. Lum : mentor de Voltairine de Cleyre (cf. l’article de Chris Crass). 

4 Alice Roosevelt : durant sa jeunesse, la fille du prĂ©sident ThĂ©odore Roosevelt aimait scandaliser son entourage. Elle Ă©pousa un congressiste playboy et devint une figure importante des coulisses de Washington. 

5 AprĂšs avoir donnĂ© sa dĂ©mission de son poste de juge, Ernest Crosby Ă©crivit de nombreux articles et livres contre la guerre et contre l’impĂ©rialisme amĂ©ricain.

6 Benedict Arnold (1741–1801) : gĂ©nĂ©ral qui servit la cause de la RĂ©volution amĂ©ricaine, puis fit allĂ©geance aux Britanniques aprĂšs s’ĂȘtre mariĂ© Ă  une fervente loyaliste. Il est considĂ©rĂ© comme le type mĂȘme du traĂźtre, puisqu’il fut non seulement vĂ©nal (il exigea beaucoup d’argent pour ses renseignements) mais lĂąche (il fit pendre un espion Ă  sa place). 

7 Lucifer, the Light Bearer : journal animĂ© pendant vingt-quatre ans par Moses Harman (1830–1910). FĂ©ministe, partisan du contrĂŽle des naissances et de l’union libre, il fit de son journal une tribune libre de discussion sur la sexualitĂ©. CondamnĂ© Ă  un an de travaux forcĂ©s Ă  l’ñge de 75 ans pour ses positions, en vertu des lois Comstock.

BibliothĂšque Anarchiste Anti-copyright

Voltairine de Cleyre

Le Mariage est une mauvaise action 1907

Source : 




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